Cette situation me fait chier(libre)

« Bien. J’attends vos relevés de comptes à mon domaine pour la fin de la semaine. Il ne me manque plus que vous pour pouvoir prendre ma décision. » Ainsi se termina la réunion d’Elizabeth Lucretia Bathory dans le bureau de son principal négociant en charbon. Celui-ci était indispensable à ses affaires, car de ses produits dépendait directement sa capacité à s’enrichir. Alors elle ménageait son fournisseur, à l’inverse de nombre de ses sous-traitants et employés, qu’elle faisait travailler en leur imposant des cadences infernales. Sans doute sa part vampirique lui faisait-elle parfois perdre contact avec les capacités de ses employés humains. Heureusement que son nouveau majordome rétablirait la part des choses dans la tenue de la maison.

Elle sortit du bâtiment, réajustant son chapeau orné d’une plume de faisan et sa veste. Son apparence pouvait paraître étrange, selon les canons esthétiques de cette ville à cette époque. Si, comme tout un chacun, elle aimait se parer de belles robes finement ouvragées, elle appréciait de sortir tous les jours dans des robes plus sobres, portées avec des vestes très masculines. Et ça, c’était quand elle ne sortait pas à cheval, auquel cas elle utilisait un pantalon adapté et tranchait avec tout le reste de ses semblables en ne montant pas en amazone (même si elle avait appris plusieurs décennies plus tôt). Mais sa destination du jour était assez proche pour s’y rendre à pied. Et c’est ainsi qu’elle traverserait cet agréable quartier pour retourner à son manoir.

Déambulant ainsi avec son sac à la main et sa canne-épée, elle remarqua un mouvement près du sol. Baissant les yeux, elle put observer… quelque chose qui ressemblait à un être humain miniature. Non, pas un enfant, mais comme si un être humain avait été reproduit à échelle réduite. Un peu comme une poupée. Or les poupées ne se déplaçaient pas seules… S’agissait-il d’une créature surnaturelle enfermée dans une enveloppe de poupée ? Elle crut même l’entendre parler… Elle décida cependant de jouer le jeu, et s’accroupit près d’elle et lui adressa la parole d’un ton doux.
« Bonjour… Tu es perdue ? Tu veux que je t’aide à rentrer chez toi ou retrouver ton propriétaire ? »

La situation avait un côté assez psychédélique, dans l’esprit de la comtesse vampirique. Ca dépassait tout simplement l’entendement communément acquis. Elle se retrouvait, elle, mi-humaine et mi-vampire, à discuter avec ce qui était de toute évidence une créature dans un corps de poupée humanoïde. Cela dit, sa condition même de vampire était une entorse au sens commun des humains. Comment imaginer que ces créatures de légende puissent en effet exister réellement ? Il devait en être de même pour cette poupée.

Elle avait un joli petit visage, mais celui-ci était déformé par une expression renfrognée qui semblait présager des conflits dans son entourage, ou avec elle-même, qui sait. Elle préféra ne rien demander pour le moment, se contentant de répondre à sa question, somme toute légitime.
« Je suis confuse, je ne me suis pas présentée. Je suis Elizabeth Bathory, j’étais en visite dans le quartier… »
Puis elle reprit, car la poupée n’avait toujours pas répondu à ses questions.
« Et toi ? Qui es-tu, et que fais-tu par ici ? »